Brault le contient en y mettant fin. Jusque dans sa structure, L’homme invisible/The Invisible Man se construit dans l’équilibre entre ces deux aspects, qui ont en commun de relever d’une esthétique de la transformation, à l’encontre de « l’idéologie traductionnelle du pareil au même » (Brault 1975 : 204). ! Par exemple, c’est à Brault qu’est due, dès son premier poème, l’introduction d’oiseaux dans le recueil (voir Blodgett 2000 : 17). La formule de l’édition bilingue subit toutefois, dans les deux cas étudiés ici, d’importants réaménagements. In the narrow interstice between English and French lies a world as heterogeneous as the two sociolinguitic spaces it both joins and opposes. symbolisme   Ailleurs, l’usage des pronoms désignant les oiseaux s’harmonise. La seconde remarque est méthodologique et vise à prendre en compte les divergences existant entre deux textes qui font pourtant sensiblement le même exercice. L’un est un échange entre un poète québécois et un poète albertain ; l’autre, le récit de l’expérience entre les langues d’un protagoniste franco-ontarien. Issue du modèle aristotélicien ou de l’idéologie romantique, la norme unilingue de la bonne écriture marque les critiques de Patrice Desbiens. De cette même chanson, Félix Leclerc s’est inspiré pour écrire « L’alouette en colère » durant la crise d’Octobre. Il avait 29 ans. La traduction de Blodgett, telle qu’il la décrit, « ne cherche pas avant tout les équivalences. Émission “Création on air”. poèmes   Quant à Blodgett, c’est bien lui qui affirmait, en introduction à son recueil d’études comparatistes intitulé Configuration. […] Parmi les minorités de langue officielle, les anglophones du Québec affichaient un taux de bilinguisme de 61 % (comparativement à 6 % chez les anglophones dans le reste du Canada), alors que les francophones en dehors du Québec avaient un taux de bilinguisme de 87 % (comparativement à 38 % chez les francophones du Québec) » (Lepage et Corbeil 2013 : 4). je traverserais cette langue, je la traverserais jusqu’à ma langue propre (et inconnue), et au cours de cette traversée pénible et salutaire, je me perdrais dans l’autre et l’autre se retrouverait en moi » (1989 : 212)[4]. » Rien dans son discours – que Molson, la compagnie en question, ne fit jamais circuler en traduction française – ne permettait de conclure que ce protagoniste était effectivement en mesure de converser en français ; par contre, la mise en valeur du français comme composante de son identité lui permettait de se distinguer des Américains, et tel était le but explicite de cette publicité. De l’autre, officialisant l’importance symbolique du français, elle accorde à celui-ci un avantage qui tend à délégitimer les tentatives de protection des minorités francophones. Qu’ils le perçoivent ou non comme une menace, le bilinguisme est pour eux une composante, voire une condition de leur identité francophone (voir Poplack 1988 ; Ladouceur 2010 : 193). La douloureuse traduction culturelle de l’incipit de L’homme invisible/The Invisible Man est certes récurrente à travers le texte, mais elle s’enrichit fréquemment d’un potentiel de transfiguration. Cette pagination est celle qui fait partie du texte lui-même plutôt que le folio de l’édition de 2008. Blodgett et Brault mêlent leurs voix, voire les fusionnent à l’occasion d’un acte poétique ; mais ils continuent de bénéficier à la fois de la confiance que procure l’amitié et de la distance, entre l’Alberta et le Québec, de leurs contrées somme toute éloignées. Par delà des thèmes et expressions qui facilitent l’entente, toute la structure du recueil est modelée de façon à adoucir les heurts. Friends are friends forever together ’till the end. Photographie © Crédits : Céline Ters - Radio France. Cahin-caha, continuant à me mêler de ce qui ne me regarde pas, poursuivant mon chemin parmi les poétesses amérindiennes, j’ai traduit ce poème tiré de National Monuments, de Heid Erdrich, dont on peut lire la version originale, « Ghost Prisoner » sur le site Poetry Foundation. Reproduction autorisée par les Éditions du Noroît. On n’a qu’à penser à Fall on Your Knees d’Ann-Marie MacDonald, qui a connu un succès spectaculaire. C’est elle qui sera utilisée dans tout l’article. Pour Desbiens, il n’y a pas de lieu sûr où retourner hors de la rencontre des langues. Du côté du Québec, L’homme invisible/The Invisible Man faisait l’effet d’une mise en garde – « symptôme de la faiblesse et de la déperdition personnelle et collective » dont le nationalisme présidant à l’institution d’une littérature nationale québécoise avait cherché à « se couper » en rompant avec son héritage canadien-français (Paré 1994 [1992] : 31). Le bilinguisme est la faculté de parler ou d'écrire couramment deux langues. Dans Transfiguration, les lignes de démarcation – entre les poètes, entre leurs langues, entre original et traduction – s’estompent peu à peu dans l’avènement de l’oeuvre commune, à laquelle Brault et Blodgett contribuent de manière égale. Mobilisé d’une manière qui peut aisément sembler dénonciatrice, ce bilinguisme exemplifierait les conséquences néfastes, relevées par Brault et Blodgett dans leurs essais, d’une application des arrangements linguistiques symétriques à des milieux diglossiques : c’était la condamnation sans appel, le rejet ontologique du monde que représentait pour Desbiens la langue maternelle française, déchue, dilapidée, indifférenciée, entachée par le malaise et la honte, paralysée et paralysante jusqu’à la désarticulation des structures de la subjectivité. Écrivant « faisant amitié avec des mots », il semble décrire la démarche qui est la leur dans Transfiguration. poésie   Elle ne le préserve pas de l’invisibilité. S’il peut être nommé sur la page française, son statut de Franco-Ontarien n’est pas toujours perçu par les Québécois qu’il rencontre. En ce sens, elle rejoint les valeurs d’harmonie à la base du renga (voir Konishi 1975 : 42 ; Ogawa 2011 : 270-272). Le rapport à la symétrie du bilinguisme officiel est plus problématique dans L’homme invisible/The Invisible Man. Homi Bhabha (1996 : 54) présente cet espace comme « the contaminated yet connective tissue between cultures – at once the impossibility of culture’s connectedness and the boundary between », qui « introduce[s] into the polarization of liberals and liberationists the sense that the translation of cultures is a complex act […] that generates borderline affects and identifications […] ». Brault résume cette double position dans son texte liminaire : Ainsi avons-nous écrit en étrange familiarité, grâce à une amitié qui ne s’est pas donné d’alibi en cherchant à gommer nos différences. Au Canada, le terme a pris une connotation plus particulière : c'est la faculté de communiquer (ou le fait de communiquer) dans les deux langues officielles du Canada, l'anglais et le français. Pour la plupart de ses mentions d’oiseaux, Blodgett emploie tel qu’attendu le pronom neutre « it ». Bilinguisme officiel, politiques et poétiques traductionnelles, 5. En même temps, lues dans une perspective traductionnelles, les saisons ne se relaient plus mais se réverbèrent les unes sur les autres. Lorsqu’il l’est, il est source d’exotisme. Conformément à l’égalité de statut des deux langues, les versions anglaise et française ont en outre toutes deux valeur d’original. Elle se sert plutôt des images pour les doter d’autres sens. As the dialogue advances, there is a progressive interconnection between the poets’ voices. Shelley est bien le poète des éléments célébré par Bachelard, l'Orphée à la voix merveilleuse, l'amant extatique aux attentes parfois déçues, le créateur de mythes qui réenchantent l'univers. Les moments de rencontre « où le son est le sens », où l’anglais et le français se fondent, ne durent que le temps du « fi-bi » d’une mésange à capuchon noir (Brault in Blodgett et Brault 1998 : 41), et les auteurs sont vite rattrapés par le discours social à l’arrière-plan de leur conversation poétique. Dans ce contexte, la traduction acquiert à la fois une importance considérable et des connotations négatives. Les textes littéraires sur lesquels le présent article se penche sont deux oeuvres aux poétiques résolument traductionnelles, qui prennent pour point de départ la symétrie caractéristique de la traduction de documents officiels entre l’anglais et le français au Canada et qui exploitent son potentiel de symbolisation. En même temps, à l’intérieur de cet interstice, les deux textes occupent des positions radicalement différentes. Sherry Simon, à tout le moins, qui a le plus abondamment commenté Transfiguration, établit précautionneusement une telle analogie : « Though Transfiguration avoids explicit political references, it could perhaps be read as a parody of symmetrical bilingualism » (2006 : 140). Eh bien ! Catégorie:Poème anglais. The voice of each poet is penetrated by the accent, the vocabulary, the sensibility of the other. Dans la même foulée, elles opposent les écrits de leur anthologie à ceux des « two official cultures » (Richmond 1990 : ix), qu’elles présentent comme traditionnellement dominantes (voir Hutcheon 1990 : 2) sans faire de véritable distinction entre elles. Une telle démarche s’oppose au bilinguisme officiel. Plusieurs textes littéraires canadiens thématisent le bilinguisme anglais-français dans ses liens avec le discours de l’État. Il est cette fois pleinement parodique puisque la symétrie se fait ici railleuse : elle est visiblement employée pour être dénoncée – dénonciation qui a été dûment notée par la critique. C’est seulement après cette divergence que les deux versions se rejoignent, dans une harmonie à la fois thématique et formelle qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le texte, et qui suggère une transfiguration momentanée de la dénonciation : En guise de conclusion, j’aimerais offrir deux remarques. D’une tension entre deux espaces sociolinguistiques à la fois séparés et en interaction, il invite à déplacer le regard vers l’hétérogénéité de leurs lieux de rencontre les plus intenses. Elle contredit les promesses du bilinguisme officiel, mais elle parodie aussi – la répétition d’un événement définitif démentant nécessairement celui-ci – les affirmations nécrologiques émanant du Québec à l’endroit des communautés francophones des autres provinces[12]. Rather than maintaining separation between languages and identities, these versions shuffle them. À la symétrie du bilinguisme officiel, Blodgett et Brault ajoutent donc un corollaire qui en change la donne : la transfiguration réciproque. Cette histoire, soumise au thème de la nature, n’y fait d’apparitions que discrètes ; ces apparitions n’en sont pas moins éloquentes. It focuses on the common framework official bilingualism grants them and on the various strategies explored by the authors to subvert this framework. Dans un tel contexte, le bilinguisme littéraire est difficilement acceptable (voir Grutman 2000 : 144-145 ; Godbout 1972 : 153) tant il apparaît comme un retour en arrière.